AURELIE ROMANACCE

Rédactrice du magazine l'Oeil

Critique d'art

TEXTE

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Panser les maux ou penser les maux

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Panser les mots ou penser les maux (2018)

Virginie Hucher se frotte à l’existence à coups de peinture. L’abstraction de la série des Corps chorégraphiés - postures du corps synthétisées à l’extrême sous la forme de volumes géométriques colorés – a depuis cédé la place aux Figures imposées. L’apparition de la figuration si elle paraît soudaine, n’en était pas moins présente dès les Corps Chorégraphiés mais conservait la pudeur des jeunes filles en fleur en préférant disparaître sous la tension exercée par des formes complémentaires ou opposées. Les sphères morcelées, volumes éventrés à la recherche de leur complémentarité serait-elle une allégorie du mythe d’Aristophane du Banquet de Platon ?

« Les hommes présentaient la forme ronde ; ils avaient le dos et les côtes rangés en cercle, quatre bras, quatre jambes, deux visages attachés à un cou rond, et parfaitement semblables; une seule tête qui réunissait ces deux visages opposés l'un à l'autre; quatre oreilles, deux sexes, et le reste dans la même proportion. […] Quand ils voulaient aller plus vite, ils s' appuyaient successivement sur leurs huit membres, et s' avançaient rapidement par un mouvement circulaire, comme ceux qui, les pieds en l' air, font la roue.»

Les formes géométriques des Corps Chorégraphiés amputées de leur âme sœur, semblent incapables de s’incarner, et paraissent attendre le moment où prendra corps leur identité. De façon subliminale, cette série annonce l’androgynie figurative des Figures imposées. Sur un fond noir, d’une profondeur abyssale, se détache une série d’autoportraits à l’anxieuse introspection. Le personnage mi-homme, mi-femme se tord dans tous les sens à la recherche de son propre moi. Du microcosme au macrocosme, il n’y a qu’un pas que Virginie Hucher se hâte de franchir en associant le big bang des émotions au chaos du cosmos.

La nouvelle série de peinture en cours, en faisant advenir deux personnages gémellaires, redouble le thème du moi en une androgynie assumée. Les personnages identiques tantôt se regardent, s’affrontent ou s’ignorent et débordent du cadre qui leur est assigné. Le double du miroir prend ici tout son sens et les cloches de verre sous vide figent dans le temps un hypothétique avenir. Pour la première fois le transhumanisme des personnages s’accompagne d’une végétation hybride et fantastique, à la lisière du cabinet de curiosité et des manipulations botaniques. Les plantes s’insinuent sur la toile, bourgeonnent, fleurissent et offrent une respiration à ces individus pris en cage, en quête d’eux-mêmes.

« Une troisième voie est possible, celle du Tao », semble nous dire Virginie Hucher. En intégrant une flore vive et élancée, la peinture de l’artiste réunit l’homme et la nature en une nouvelle destinée holistique. Après la série de photographies Effets secondaires où Virginie Hucher, emprisonnée dans une mue impossible, a dû apprendre à se libérer de ses origines pour naître une seconde fois, les peintures en cours s’ouvrent sur un ailleurs de réconciliation. Les couleurs se font pastels, les regards se croisent, les lèvres se rapprochent pour bientôt fusionner et retrouver le temps d’un instant la sensation perdue de l’éternité ?

Think of the words that are used to heal the ills of the world (2018)

Virginie Hucher faces up to reality through her artwork. The abstract, colourful and geometric forms and spaces representing body postures found in her last series ‘Corps choréographiés’ have given way to the series ‘Figures Imposées’. Although the emergence of figurative shapes might seem sudden, they were already present in ‘Corps choréographiés’, only they retained a certain reserve similar to that of a young girl, preferring to hide behind the tension created by complementary and opposing forms. Could the broken spherical shapes, ripped apart in search of a balance, be a hidden representation of Aristophanes myth in Plato’s Symposium ?

“Each human being was completely round, their back and sides forming a circle, with four arms and fours legs, one head with two identical faces, looking opposite ways, set on a round neck and precisely alike ; four ears, two privy members and all else to match. [...] When they wanted to run fast, they could also roll over and over at a great pace, turning on their four hands and four feet, eight in all, like tumblers going over and over with their legs in the air.’’

The geometric shapes in the ‘Corps choréographiés’ series, having been deprived from being a balanced form, seem unable to have meaningful existence, waiting for their identity to take shape. This series unconsciously represents androgyny. Against a dark background, a series of self-searching self-portraits stand out. A half-man, half-woman character bends in all directions in search of its own self. From microcosm to macrocosm, there is only one step that Virginie Hucher consciously takes by comparing the explosion of feelings with the chaos of the universe.

By bringing together exactly alike personages, through clear androgynous features, her new series of paintings emphasizes the theme of the self. The identical characters either look at each other or ignore each other whilst stepping out of its seemingly assigned framework. Here a mirror effect takes on its full meaning by doubling its reflection. The glass bell jars preserve the idea of a possible future. For the first time, the transhumanist personages are surrounded by an imaginary foliage, which resembles curiosity cabinets of botanical interests. The plants slowly introduce themselves into the paintings. They bud and bloom whilst offering a breathing condition for these confined, identity searching individuals.

‘A third way is possible, that of the Tao philosophy’, Virginie Hucher seems to tell us. By introducing a light and vivacious flora, the artist’s paintings bring together mankind and nature in a complete way. After the series of photos ‘Effets secondaires’ where Virginie Hucher, seemed to be closed off in a wrong direction, had to learn to free herself from her beginnings in order to start again a second time so that the current paintings act like a reconciliation. The colour range becomes paler, the looks cross, the lips come together before merging and maybe regain the sensation and loss of eternity ?

Traduit du français par Alexis Tuersley