PAULINE LISOWSKI
Critique d’art
Membre de l’AICA
Commissaire d’exposition de la CEA
Pauline Lisowski et Virginie Hucher
TEXTES
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Des formes picturales en croissance
Du corps en mouvement dans l’espace vers la forme
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Des formes picturales en croissance (2020)
D’une expérience physique des espaces au contact des éléments naturels vers l’élaboration de formes du dessin à la peinture en passant par la sculpture, Virginie Hucher compose un ensemble d’œuvres abstraites qui l’amène à être en harmonie avec son corps. De l’art de la danse, elle retient l’élan et la posture qui nous conduisent à l’équilibre et à un ancrage au sol. La pensée taoïste guide son attitude d’artiste proche de la nature. Elle l’écoute pour ressentir son soi intérieur et inspire à entrer en contact avec la matière et son support. Son approche rejoint celle des artistes du mouvement Gutaï qui vouaient une importance dans le choix de leur matériau, laissaient exprimer leur corps dans des performances visibles en photographie et dont le geste pictural témoignait d’une grande liberté de peindre sur de grands espaces. Sa démarche fait écho à celle de Fabienne Verdier qui fut également marquée par les grands maîtres de la peinture chinoise. Virginie Hucher fait confiance à ses sensations corporelles en laissant son mouvement dessiner des figures. Sur la feuille, elle trace des formes entre l’architecture et l’organique, où le vide et le plein convoquent la relation, la rencontre. Il y a chez cette artiste un besoin constant de rechercher la pureté, l’origine et de prendre conscience des éléments qui nous entourent. Ses peintures se rapprochent du mouvement minimaliste tout en s’en distinguant par la présence des marques du pinceau et par l’expression de son corps. Ses figures suggèrent aussi bien des formes anciennes, vestiges du passé que de nouveaux êtres, organismes vivants d’un monde à venir. Chaque posture évoque la naissance, la croissance. Ces éléments semblent en attente d’accueillir leur partenaire et de communiquer ensemble.
L’artiste s’inspire de la botanique, de la biologie et propose des pièces qui semblent sorties de terre et s’ériger vers le ciel. Comme dans l’univers artistique des frères Bourroulec, le végétal l’amène à proposer des modules qui pourraient s’assembler et se développer dans l’espace. Ses figures nous invitent à les retourner et à les combiner. Elles font écho à des cellules ou bien à des silhouettes d’éléments extraits du sol.
La couleur dessine la forme qui prend place dans la surface du papier. La matière témoigne de l’amplitude du geste de l’artiste qu’elle déploie sur son support. Les teintes, camaïeu de terracotta, ocres verts, bruns, jaune et blanc, rappellent celles du corps humain et des paysages arpentés. La présence du bleu contraste avec ces couleurs, évoque la mer, le ciel, le cosmos, l’espace, le vide en opposition au plein. Virginie Hucher fait vibrer la couleur qui dessine des formes à la frontière entre le vide et le plein, le cosmos et le tellurique, l’équilibre statique et le mouvement.
Dans ses peintures sur toile, Histoires naturelles, les textures, les trames et la matière rappellent ses expériences à même le sable, les rochers, la neige, une tentative d’appréhender les éléments avec souplesse. Si certaines familles se dessinent, l’artiste ne répète aucune forme. Chacune est unique et présente ses particularités.
Ses peintures incitent à tisser des liens entre elles, à se raconter l’histoire de la naissance des éléments naturels. Les souvenirs de ses performances au contact des surfaces vivantes s’incarnent dans le tracé au pinceau des arrondis, des courbes, des arcs qui appellent l’ondulation, l’expansion et le développement des processus naturels.
Les sculptures de la série Botanica composent un paysage d’éléments qui poussent et grandissent avec de possibles liens et attaches. Couleurs et matières rappellent les contacts du corps de l’artiste et de ses outils avec les surfaces vivantes. Ses pièces à l’échelle de la main font écho à des structures qui s’assemblent pour créer une nouvelle espèce.
Les œuvres de la série Forme fertile font penser à des empreintes comme si l’artiste avait extrait du sol des fragments d’une ruine. Ses pièces nous amènent à nous interroger sur leur identité. Brutes, géométriques et pourtant pleines de vie et d’énergie, elles renvoient à des structures cellulaires. Virginie Hucher nous donne à voir des organismes qui seraient invisibles à l’œil nu.
Dans les dessins de la série Chorégraphie végétale, le pastel à l’huile se dépose délicatement sur le papier kraft pour laisser la trace de son geste mémorisé. Parfois en binôme, les figures nous attirent à la fois vers le ciel et vers un ancrage au sol.
Le titre de ses œuvres renvoie à des paysages, à des éléments naturels, à des dynamiques du monde végétal... et permet au spectateur de se raconter des histoires.
En résumé, les œuvres de Virginie Hucher composent une boucle de la pratique en extérieur au croquis, à la peinture sur papier, sur toile et un retour à la terre avec la sculpture. De l’échelle de la cellule jusqu’au cosmos, l’artiste tend vers un développement d’une croyance envers l’harmonie entre l’homme et la nature.
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Du corps en mouvement dans l’espace vers la forme (2020)
Marquée par la danse qu’elle pratique depuis longtemps, Virginie Hucher retient de cet art une relation profonde de son corps avec l’espace. Qui danse reconnaît les sensations et les émotions qui peuvent émerger dans son corps. On prend conscience de soi, de sa capacité de se développer et d’investir un lieu. De même, la marche conduit à une perception de notre corps, de son contact avec les éléments et incite à lui faire confiance.
La pensée taoïste intéresse également Virginie Hucher qui privilégie la spontanéité et la rencontre avant de dessiner. Le principe de verticalité, l’harmonie terre et ciel et le paysage perçu comme un corps vivant s’expriment à travers ses performances au contact des éléments naturels. L’expérience physique de certains lieux l’a guidé vers une envie de s’y investir physiquement, de les arpenter, de les éprouver même dans des conditions difficiles. Elle s’arrête alors et trouve un objet, un élément, un matériau qui devient son outil de dessin dans l’espace. L’artiste libère son énergie et trace des formes à l’échelle du paysage, telles qu’elles pourraient être vues du ciel. Elle laisse ainsi son empreinte tout en gardant à l’intérieur d’elle-même son élan en vue de nouvelles formes plus petites. En se mesurant aux montagnes, aux plages, aux grands espaces, elle écoute et ressent le lieu qui inspire parfois à la contemplation et à l’humilité. Au sein de ces espaces qui ont longtemps fait peur, désormais investis et apprivoisés par l’homme, Virginie Hucher promène son outil et creuse la surface du sol. Son geste dépend du site et évolue selon son ressenti. Point de départ de ses dessins, peintures de plus petits formats, cette pratique l’amène à faire naître des formes avec le plus de liberté possible. Ses expériences font écho à la pratique de certains land artistes tels que Richard Long qui travaillent à l’échelle du paysage. Il s’agit pour elle de moments privilégiés pour accueillir les sensations que procure le contact de la nature, peu importe les conditions météorologiques. Ses formes à la fois architecturées et organiques suggèrent un va et vient de la cellule à l’espace dans lequel le corps peut se déplacer et le comprendre. Celles-ci évoquent la nature du végétal qui s’élève vers le ciel ainsi que la représentation cosmo tellurique. Le corps vertical et l’élément naturel se rejoignent. Elles rappellent le mouvement brutaliste et les sculptures de Giorgio Chilida. Leur tracé suggère une tentative de faire corps avec la nature et d’habiter la forme.
En Suède, la neige l’a incité à faire surgir des figures qui témoignent d’un moment de sa présence en un lieu éloigné de la civilisation, où l’homme peut ressentir l’immensité de l’espace dans lequel il se trouve. Parfois, ses expériences de voyage l’amènent à contempler, à noter et à prendre des empreintes. Le sable sur lequel elle apprécie marcher est devenu l’un de ses supports vivants pour le déploiement de ses tracés, témoignages de sa chorégraphie au contact des éléments mouvants. Au plus près des éléments, Virginie Hucher observe avec soin l’environnement qu’elle arpente. Les formes dessinées rappellent les lignes de Nazca ou bien des signes, témoins d’un plan possible, de traces qui donnent envie de fouiller, de chercher des vestiges d’un passé ancien. En dessinant sur un support vivant, sur un sol vierge, laissant son corps vibrer par les mouvements du vent, elle redéfinit les contours d’une nature déserte, oubliée au profit d’un monde nouveau qu’elle reconstruit.
Ses performances sont proches à la fois du jeu et d’un désir d’inscrire en sa mémoire une émotion ressentie, une unité entre son corps et le monde. Photographies et vidéos restituent ses moments de dessin sur des supports naturels en perpétuel changement.
Evolving pictorial shapes and forms (2020)
From her physical experience in contact with nature, to the creation of drawn, painted and sculpted shapes, Virginie Hucher creates a collection of abstract works which are in harmony with her body. From her experience as a dancer, she has retained the driving force and posture that lead to balance and stillness. Taoist philosophy guides her artistic endeavours which are close to nature. She is guided by nature in order to approach her inner self, whilst acquiring inspiration by being in contact with it. Her approach is similar to that of the artists of the Gutaï movement who devoted great attention to the materials they chose and whose movements gave great freedom to paint on large surfaces. Her methodology echoes that of Fabienne Verdier who was also influenced by the great masters of Chinese painting. Virginie Hucher trusts her bodily feelings by drawing figures initiated by her own movements. She designs shapes that mix architecture and nature, creating a meeting between emptiness and fullness. There exists within this artist a constant need to seek purity, the origin of all things, as well as being conscious of the elements that surround us. Her work is close to the minimalist movement whilst distinguishing herself from it by using large brushstrokes and expressing herself via her body. Her figures suggest both ancient shapes, maybe remnants of the past, as well as new shapes plus living organisms as indications of a world to come. Each expression evokes birth and growth. The figures seem ready to welcome and converse with their partner.
The artist draws her stimulation from botany and biology and offers pieces that seem to come straight out of the earth, searching for the light. Similarly to the Bourroulec brother’s creative world, plants lead her to propose designed forms that can be combined and developed in a three-dimensional space. Her figures invite us to turn them over and put them together. They echo cells or substances extracted from the earth.
The colour explains the shape that exists on the surface of the paper. Proof of delicate relief testifies to the scope of the gesture that the artist shows on her canvas. The nuances of colour - shades of terracotta, green ochres, browns, yellows and white - recall those of the human body and observed landscapes. The use of the colour blue creates a contrast, evoking the sea, the sky, the cosmos, space and emptiness in opposition to fullness of earth. Virginie Hucher increases the quality of the colour she uses. She indicates shapes on the brink of emptiness and wholeness, the universe and the earth, stillness and action.
By recalling her past experiences, walking on sand, rocks and through snow, the textures and materials used for her series of paintings ‘Histoires Naturelles’ are an attempt to understand those elements with an open mind. If certain repetitions begin to occur, the artist tries not to repeat a shape. Each one is unique and has its own particularity.
Her paintings encourage us to create links between them, inviting us to recall the beginnings of natural elements. Recollections of her performances within nature are represented by her rounded, curved and arched brushstrokes, thereby representing the movement, expansion and development of natural progressions.
‘Botanica’, her series of sculptures, make up an environment of formal elements that grow and spread with possible connections and attachments. The colours and materials recall the utilization of certain tools and the artist’s bodily contact with existing surfaces in nature. Her small handmade pieces echo structures in nature that come together in order to create her new forms.
Her ‘Fertile Form’ series reminds one of recollections of fragments of a ruin as if the artist had extracted them from beneath the ground. Her sculptures lead us to question their origin. Raw, geometric and yet full of life and energy, they possibly refer to cellular structures. Virginie Hucher shows us organisms that she makes visible to our eyes.
In the ‘Plant Choreography’ series, oil pastel is delicately used and drawn on brown wrapping paper, leaving the trace of a recollected movement. Sometimes drawn in pairs, the figures draw our attention to both the sky and the ground.
The titles she uses to describe her work refer to landscapes, natural substances, to the growing evolutions of the plant world and allows the viewer to interpret stories for herself or himself.
In summary, Virginie Hucher’s work creates a looped connection, from her outdoor practices, to her sketching, painting on paper or canvas, and back to the earth with her sculptures. From the minuteness of a cell to the immensity of the universe, the artist develops her belief in the harmony between mankin and nature.
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The movement of the body influencing the creation of shape and form
( 2020)
From her earlier experience as a dancer, Virginie Hucher has kept a deep relationship between her body and the way it moves in space. Those people who dance become aware of the sensations and emotions felt by their bodies. They become more aware of themselves and for their capacity for movement within a room. Similarly, walking leads to an awareness of one's bodies and of its contact with the environment and doing so, encourages us to trust it.
Virginie Hucher is also interested in Taoist philosophy and favours spontaneity and understanding before drawing. The principle of verticality, the harmonious relation between the earth and the sky, as well as the landscape that is seen as a living body, are expressed through her performances among natural environments. The physical encounter with certain places guides her towards a desire to have a physical encounter with them, to explore them, to participate with them even in difficult conditions. She might then stop and find an object or tool that becomes a drawing implement in that place. The artist releases her energy and makes shapes on a scale within the landscape, as it would be seen from the sky. By doing so, she leaves her own mark whilst gathering knowledge to create new, smaller forms. By comparing herself against the mountains, the sandy beaches, the wide open spaces, she listens and understands with infinite humility. Within these places that were awe inspiring for a long time, where now they are occupied and changed by mankind, Virginie Hucher proceeds with her tools, scratching away at its surface. Her method depends on the nature of the place and evolves intuitively. As a starting point for her smaller sized drawings and paintings to come, this practice enables her to create forms with as much information and freedom as possible. Her searchings echo the practice of certain land artists such as Richard Long who works on large scale forms that fit into a natural environment. For her, regardless of the weather conditions, these are special moments when she can experience feelings that only being in nature can provide. Her shapes and forms, both architectural and organic, suggest a to-ing and fro-ing between the smallest unit to a space in which the body can move at ease. They call to mind the way plants grow towards the light and suggest universal-terrestrial representations. The vertical body and the natural element are at one with each other. They recall the brutalist movement and the sculptures of Giorgio Chilida. Their design suggests an attempt to become at one with nature and influence the form.
When she travelled to Sweden, the snow encouraged her to create forms that bear witness of her presence in a place far from civilization. A place where mankind can feel the immensity of the space she or he finds themselves in. Sometimes, her travel experiences lead her to observe, take notes and create imprints. She enjoys walking across sand and uses it as a live support to draw lines, testimonies of her dancing in contact with moving elements such as land and water. Being close to these natural elements, Virginie Hucher carefully observes the environment with which she comes in contact. The shapes she draws recall the Nazca lines or geoglyphs, possible evidence of a hidden plan, of signs that you may want to explore, in search of the remains of an ancient time. By letting her body sway and dance to the movement of the wind, whilst drawing on virgin ground, she redefines the existence of a forgotten and deserted nature, replacing it by a new world, she creates.
Her performances have a playtime spirit to them with the added need to record her emotions at play, creating a unity between her body and the rest of the world. Her work also involves photographs and videos showing her drawing experiences on ever changing natural scenarios and supports.